Rencontre avec Kim Han-Min: Hansan: Rising Dragon

Sommaire

Ma rencontre avec le grand réalisateur Kim Han-Min fut l’une des plus mémorables de ce 27e Festival International du Film de Busan, et sûrement de ma carrière aussi. Le cinéaste et moi avons échangé pendant près d’1h45 sur son épique film Hansan: Rising Dragon, mais également sur le cinéma coréen, les philosophies de vie, les carrières, le festival. Ce n’était pas une interview comme les autres. Kim Han-Min souhaitait interagir avec moi, me posant à son tour des questions, cherchant à connaître mon opinion sur tel ou tel point, ou encore à en apprendre plus sur mon propre parcours. En d’autres termes, cette interview, qui devait durer 40 minutes à l’origine, s’est transformée en une longue conversation entre deux passionnés. Comment ne pas se souvenir de ce moment plus que privilégié ?

Le réalisateur et moi-même lors de l’interview au Festival du Film de Busan. Photo par Marion Pichardie

Le film

Hansan : Rising Dragon est le deuxième volet de la trilogie historique du célèbre Amiral Yi Sun-Sin, intégralement réalisée par Kim Han-Min. Le premier, The Admiral : Roaring Currents (2014), est devenu le film le plus vu et rentable de toute l’Histoire en Corée du Sud, surpassant même Avatar dans le pays. Hansan : Rising Dragon a suivi ses traces en devenant, jusqu’à ce jour, le 2ème film le plus rentable de 2022. 

Celui-ci retrace l’Histoire de la bataille de Hansan entre Coréens et Japonais en 1592.

Affiche officielle Hansan: Rising Dragon. Big Stone Pictures

J’ai pu personnellement découvrir le film sur grand écran lors du festival, et quel spectacle. Prouesse visuelle et narrative, le film nous embarque pour des scènes de batailles maritimes époustouflantes, avec des acteurs au sommet de leur jeu. On y retrouve notamment Park Hae-Il dans le rôle de l’Amiral Yi Sun-Sin et Byun Yo-Han dans la peau du capitaine Japonais Wakisaka.

Les deux acteurs et le réalisateur sont montés sur scène à la fin de la projection pour saluer leur public et lui offrir des anecdotes sur le film et sa création.
Le lendemain, je rencontrai personnellement ce réalisateur prodige. Je vous livre ici les moments les plus passionnants de notre entretien…

L’interview

Marion Pichardie : En tant que spectateur, lorsqu’on découvre les fameux bateaux tortus, on est fasciné par ces ingéniosités, mais on a peur aussi. C’est parce qu’on découvre tout du point de vue des Japonais, alors que pourtant, le film porte sur le personnage de l’Amiral Coréen Yi Sun-Sin. Comment avez-vous réussi à faire ressentir tout ça aux spectateurs ?
Kim Han-Min : Question pertinente ! D’ordinaire, le public suit l’histoire à travers les yeux du héros. Mais il n’y a rien de nouveau, c’est ennuyeux. J’ai voulu changer de perspective. Passer du point de vue du capitaine Japonais à celui de l’Amiral, puis des Japonais de nouveau. C’est ma propre façon de faire et ça peut être très stylé si c’est bien réalisé.

Les bateaux tortus. Big Stone Pictures, BIFF 2022, Libre de droits

MP : Hansan: Rising Dragon est un film contenant énormément de scènes de bataille. Quels ont été les principaux défis lors de l’écriture et du tournage ?

KHM : Quand j’écris le scénario, j’essaie d’évoquer les scènes de bataille le plus clairement possible, mais c’est difficile. Le premier volet de la trilogie, The Admiral : Roaring Currents, contient au total 61 minutes de scènes de guerre. Similaire pour l’un de mes précédents films, War of The Arrows. Mon statut de réalisateur a grimpé après The Admiral, donc je fais confiance à mon style d’écriture. Ça devient plus facile mais écrire reste toujours un challenge. Concevoir les scènes de bataille était mon « devoir, » il fallait que le public les comprenne. C’était la clé du succès de mon film. Dans le passé, avoir plus de 15 minutes de scènes comme celles-ci dans un long-métrage était considéré ennuyeux. Mais moi, j’ai reçu beaucoup de réactions du public qui disait « c’était vraiment intéressant. » C’était le début de tout, les gens me font confiance.

Big Stone Pictures, BIFF 2022, Libre de droits

MP : Vous avez mentionné avoir utilisé une technologie de production virtuelle pour créer un storyboard en mouvement. Qu’il s’agissait presque d’une animation. Pouvez-vous nous en dire plus ?

KHM : Avec des scènes de batailles qui durent jusqu’à une heure, ça peut être difficile pour les acteurs de bien les comprendre. J’ai donc utilisé cette technologie pour matérialiser ces scènes à l’écran. C’était une prévisualisation, avec d’autres acteurs jouant les scènes afin de les montrer aux vrais membres du casting. Avec des scènes de batailles aussi longues, un très bon jeu d’acteur est crucial. 

MP : Pourquoi avez-vous choisi des acteurs coréens pour interpréter des personnages Japonais ? Apprendre une autre langue représente du travail en plus, et l’accent natif ressort forcément un peu… ?

KHM : Encore une très bonne question. Effectivement, les acteurs Coréens ont dû apprendre le japonais. Mais ça marche mieux comme ça. Pour une raison que je ne connais pas tout à fait et qui m’intrigue, le public Coréen accroche beaucoup mieux lorsqu’il s’agit d’acteurs de leur pays. Ils s’identifient mieux. Dans le passé, j’ai engagé des acteurs Japonais pour mon film The Battle : Roar to Victory, et ça n’a pas bien fonctionné. Cependant, j’aimerais quand même tirer mon chapeau à ces deux acteurs. Ils ont accepté de jouer de vrais méchants, et c’est difficile pour les Japonais de faire ça. Dans Hansan : Rising Dragon, c’est différent par exemple. Ils ont leur propre raison de devenir mauvais. Mais pour en revenir à ce que je disais au début, du moment que les acteurs Coréens mémorisent la langue il n’y a pas de problème. Le japonais est aussi très proche du coréen. Byun Yo-Han (interprétant le rôle du capitaine Japonais Wakisaka), qui était lui-même inquiet de la crédibilité qu’il aurait, est devenu très à l’aise dans la langue grâce à un professeur et des amis. Bien sûr, ça ne peut pas non plus être à 100 % parfait.

Byun Yo-Han dans Hansan: Rising Dragon. Big Stone Productions, BIFF 2022, Libre de droits

MP : L’Amiral Yi Sun-Sin a déjà été représenté dans bien des films et séries. Que souhaitiez-vous apporter de plus à cette figure historique emblématique en réalisant cette trilogie ? Vous avez également évoqué vouloir représenter le personnage en trois dimensions. 

KHM : C’est assez ironique. En fait, ce n’était pas mon intention d’en montrer plus sur l’Amiral. Je souhaitais plutôt dépeindre ce qu’il y avait d’écrit dans son journal de guerre. J’y ai mis ma propre interprétation aussi bien sûr. Le personnage que vous voyez dans mes films est proche de ce que j’imagine lorsque je lis cet ouvrage. C’est aussi pour ça que j’ai engagé trois différents acteurs pour jouer l’Amiral dans les trois différents films. Pour montrer son évolution. 

L’Amiral, interprété par Park Hae-Il. Big Stone Pictures, BIFF 2022, Libre de droits

MP : En tant que réalisateur, avez-vous une habitude/astuce spéciale propre à vous-même lorsque vous préparez ou tournez un film ?

KHM : Vos questions ont l’air simple, mais elles me font beaucoup réfléchir, c’est intéressant ! Je dirais que pour chaque film je me fixe des directions que je ne dois pas emprunter. Par exemple, pour celui-ci, je ne voulais pas montrer tout du point de vue des Coréens, ça aurait été ennuyeux. 

MP : En tant que réalisateur Coréen accompli, que pensez-vous du succès grandissant du cinéma de votre pays dans le monde ? Quelles en sont d’après vous les raisons et quel futur voyez-vous pour les films coréens sur la scène mondiale ?

KHM : Je ne suis pas sûr du futur. Mais les films coréens ont un caractère unique. Ils sont frais comme on a tous pu le constater avec Parasite par exemple. Les réalisateurs Coréens ont une forte compréhension des genres. On peut donc jouer avec et inclure des retournements de situation. Comme le fait Bong Joon-Ho, comme je le fais, moi aussi ! [rires] À Hollywood par contre, les différentes caractéristiques de genres sont suivies à la lettre. Pour donner un exemple, dans la plupart des cas, le méchant devient encore plus méchant, et il est puni à la fin.  Mais prenez maintenant Squid Game. Le personnage de Lee Jung-Jae décide de ne pas tuer celui qui était son ami, « le traître, » à la fin de la série et revient vers lui au lieu de finir le jeu. On pourrait détester le personnage du « méchant » mais ce n’est pas le cas, il y a un rebondissement.  C’est peu fréquent dans les films occidentaux. Je pense aussi que les fins mémorables des films coréens ne proviennent pas d’une idée brillante du réalisateur mais plutôt de ses antécédents émotionnels. C’est ça qui fait toute la différence. Les Coréens, en plus de fournir de bons rebondissements, font circuler de forts messages.

Scène de bataille dans Hansan: Rising Dragon. Big Stone Pictures, BIFF 2022, Libre de droits

MP : Justement, quels sont les messages principaux que vous souhaitiez faire passer avec cette trilogie ?

KHM : Dans le premier film, The Admiral: Roaring Currents, je voulais montrer comment une peur extrême peut se transformer en courage.

Dans le second, Hansan : Rising Dragon, mon intérêt n’était pas de représenter le conflit Corée/Japon mais plutôt la justice, la virtuosité et son opposé.

Et enfin dans le troisième (sortie fin 2022 ou début 2023), Noryang : Sea of Death, il s’agit de montrer comment l’humain met un terme à une guerre injustifiée, immorale. Avec la mort de l’Amiral Yi Sun-Sin qui représente le dévouement. Tout ça n’est pas à propos de nationalisme. Le mot-clé ici est humanité.

MP : Avez-vous quelques mots à dire aux spectateurs français de Hansan : Rising Dragon et de la trilogie en général ?

KHM : Je prépare en ce moment deux films : l’un de science-fiction, l’autre sur fond historique en l’an 1894. Avec ces deux films mais aussi cette trilogie, je voulais montrer le salut contre Dieu. C’est aussi connecté à ma propre vision du monde. À l’époque de la dynastie Joseon en Corée -là où se déroule mon film historique- les gens ne suivaient pas Dieu mais la nature. Ils avaient leurs propres vertus. Ils étaient persuadés que le changement de saison par exemple était dû à cette dernière et non à autre chose. Que tout se fait juste naturellement. C’est un vrai contraste avec les missionnaires occidentaux qui tentaient d’instaurer la religion. Choi Je-U disait que « suivre Dieu nous conduit à être malheureux. » C’était la façon de penser des Coréens à l’époque.  Mais c’est aussi le message que je souhaite faire passer aux spectateurs français et au public en général. Par exemple, dans la trilogie, les batailles ne dépendent pas de Dieu, mais des propres convictions et tactiques. L’Amiral a perdu son fils mais ne s’est pas tourné vers Dieu, il s’est comporté comme il l’a toujours fait. Le message est plus clair dans le film de science-fiction que je prépare. C’est un message unique d’un réalisateur Coréen.

Un grand merci à Rebecca HyeSung Ji pour son excellente traduction!

Regardez la bande annonce de Hansan: Rising Dragon ci-dessous:

Marion Pichardie

Fondatrice de Bokjoo Nabi

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